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Crowdfunding : analyse du projet d'ordonnance

Actualité

Crowdfunding : le projet d'ordonnance se précise

Très attendu, le projet d'ordonnance de simplification portant la nouvelle réglementation de la finance participative commence à circuler. Il vient par exemple d'être publié par l'Agefi. Ce texte, qui pourrait être présenté dès le 30 avril au Conseil des ministres, doit permettre aux acteurs français de s'imposer face aux plates-formes d'outre-Atlantique et de remplir pleinement leur rôle dans le financement des PME.

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photoA cette occasion, Hubert de Vauplane et Reid Feldman, tous deux avocats associés au cabinet Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP, décryptent, pour PME Finance, les dispositions de ce texte : 

Après examen par le Conseil d’Etat et avis du le 14 avril 2014 du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), le projet d’ordonnance comportant les nouveaux textes sur le financement participatif devrait être présenté dans les prochains jours au Conseil des ministres. C’est un texte profondément novateur pour l’exercice de la finance en France que le gouvernement va ainsi prochainement adopter.

Dans l’ensemble, le projet en son état actuel reprend les annonces faites par Fleur Pellerin en janvier 2014, et ce, malgré les « réserves » par le CCSF(1), en particulier sur les activités de prêts rémunérés selon lesquelles le projet ferait courir un « risque de protection insuffisante du prêteur et de l’emprunteur et à un risque de distorsion de concurrence pénalisant les acteurs régulés du crédit par rapport aux nouveaux entrants ».

Comme annoncé par Fleur Pellerin au début de l’année, le texte prévoit la création de deux statuts des plateformes de financement participatif : 

le Conseiller en Investissement Participatif (CIP), qui sera obligatoire pour les plateformes qui commercialisent des actions ou obligations de sociétés non cotées (y compris des SAS) ; et 

l’Intermédiaire en Financement Participatif (IFP), qui sera obligatoire pour celles qui proposent le financement par prêt (rémunéré ou non), sachant que les plateformes proposant le financement par dons ont l’option de prendre le statut d’IFP si elles le souhaitent.

Ces deux statuts sont régulés et leurs activités encadrées (au point que le projet prévoit des sanctions pénales pour l’exercice de celles-ci hors de ces statuts) : les intermédiaires (CIP et IFP) doivent s’enregistrer à l’ORIAS, le registre national des intermédiaires dans le secteur financier. CIP comme IFP sont soumis à des règles de bonne conduite et de transparence. 

En somme, l’option de régulation retenue par le gouvernement est d’ouvrir l’accès à ces activités sans mettre de barrières à l’entrée, tout en responsabilisant les plateformes par des exigences de transparence et d’information plutôt que de nombreuses prescriptions obligatoires. 

- Les Conseillers en Investissement Participatif

L’activité des CIP est définie comme celle aux termes de laquelle des « personnes morales exerçant à titre de profession habituelle une activité de conseil en investissement mentionnée au 5 de l’article L. 321-1 portant sur des offres de titres de capital et de titres de créance définies par décret. Cette activité est menée par le biais d’un site internet remplissant les caractéristiques fixées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers » (Article L.547-1-I du CMF ). Ils pourront aussi fournir des prestations de « conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d’entreprises » (article L.321-2, 3° du CMF), et prendre en charge les bulletins de souscription et certaines prestations juridiques liées à l’exercice de leurs activités, dans les limites toutefois de la loi du 31 décembre 1971 sur les professions juridiques . 

Les CIP n’auront pas le monopole du financement participatif portant sur les titres de capital ou de dette, car cette activité sera également ouverte aux établissements de crédit, aux entreprises d’investissement et aux entreprises d’assurance. Les sociétés de gestion ne sont pas mentionnées et ne peuvent donc pas exercer ces activités, ce qui aura probablement pour effet de démarquer quelque peu la finance participative des acteurs traditionnels du secteur financier. 

L’exercice de l’activité de CIP est toutefois limité à ces seules activités et ils ne peuvent exercer aucune autre activité, à l’exception du financement participatif portant sur les prêts, au cas où la plateforme prend en plus le statut d’IFP, le cumul des deux étant possible au sein de la même personne morale à condition toutefois de ne pas fournir de service de paiement. 

Le CIP ne peut recevoir ni des fonds des investisseurs (hormis la rémunération de ses activités), ni des titres de leurs clients (porteurs de projets). 

Il est prévu expressément que les CIP ne bénéficient pas du passeport européen. 

Le bénéfice de ce statut est réservé aux personnes morales établies en France, qui doivent justifier « à tout moment » de l’existence d’un contrat d’assurance responsabilité professionnelle (2)

Il n’est pas exigé de fonds propres minimum mais juste des « moyens dédiés suffisants » et des « compétences professionnelles » spécifiques. Aucun « agrément » n’est requis mais seulement une inscription au registre de l’ORIAS. 

En revanche, les CIP sont tout naturellement soumis aux règles relatives au démarchage bancaire (à cet égard, la fourniture d’une prestation de conseil en investissement participatif constitue un acte de démarchage au sens de l’article L.341-1 du CMF) et bien sûr à celles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement des activités terroristes. Ils doivent adhérer à une association professionnelle qui les contrôle mais restent soumis à la compétence de la commission des sanctions de l’AMF (ce qui les conduit au paiement d’une contribution à l’AMF). 

Surtout, les CIP doivent respecter des règles de bonne conduite, pour l’essentiel proches de celles des entreprises d’investissement, et donc notamment procéder au test d’adéquation entre la situation du client et l’offre proposée (ce qui les obligera à conserver les traces de ces tests). Ils auront notamment l’obligation d’exercer leur activité « avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent au mieux des intérêts de leurs clients », afin de leur conseiller un choix des investissements.

Le texte valide aussi de manière indirecte la possibilité pour un CIP de passer par une société holding pour rassembler les investisseurs : la plateforme doit alors s’assurer que ceux-ci disposent de « toutes les informations nécessaires à l’appréciation de leur investissement », ce qui peut s’agir tout simplement d’assurer que la holding soit transparente sur le plan des informations (au lieu de faire peser sur les CIP recourant aux holdings une responsabilité supplémentaire). 

Bien sûr, les CIP doivent mettre en place une politique de gestion des conflits d’intérêts. 

Le projet d’ordonnance adapte le régime et le périmètre des offres au public de titres financiers réalisées dans le cadre du financement participatif. Il introduit une nouvelle exemption de publication d’un prospectus pour les offres de titres financiers réalisées par l’intermédiaire de plateformes de financement participatif (le critère retenu par la loi est celui d’une offre effectué « par le biais d’un service internet » mais dont les caractéristiques seront déterminées par le RG AMF). Le projet renvoie à un décret le montant en deçà duquel l’opération ne constitue pas une « offre au public » au sens de la règlementation européenne. Le seuil de 1 000 000€ avait été annoncé par Fleur Pellerin en janvier 2014. 

Une information minimale doit être délivrée aux investisseurs par la plateforme sur son site internet. 

Un des sujets qui a longuement fait l’objet de discussions avec les professionnels et pour lequel PME Finance s’était beaucoup investie est la question de l’éligibilité des SAS dans le champ de l’exemption au régime du prospectus. Le projet d’ordonnance fait droit aux attentes des professionnels, sous réserve de respecter certaines exigences statutaires (applicables aux sociétés anonymes) en ce qui concerne les droits de vote, la répartition des compétences, de quorum et de majorité des assemblées générales ordinaires et extraordinaires, les règles d’organisation des assemblées générales et ce, afin d’éviter de mettre les minoritaires totalement entre les mains des majoritaires du fait du caractère contractuel de la SAS qui permet de rédiger des statuts « à la carte ». Le projet impose également la désignation d’un commissaire aux comptes pour ces SAS qui recourent au crowdfunding (comme pour toute société anonyme), ce qui impose un contrôle supplémentaire mais avec un coût correspondant.

- Les Intermédiaires en Financement Participatif 

Le second volet de l’ordonnance sur le financement participatif est relatif aux activités sous forme de prêts ou de dons. 

S’agissant des activités de prêt, le projet d’ordonnance ajoute une nouvelle dérogation au monopole bancaire. C’est sans doute là l’innovation la plus importante du projet compte tenu du cadre traditionnel d’exercice en France des activités bancaires. La nouvelle exception au monopole doit satisfaire à trois conditions. La première tient aux personnes pouvant effectuer des prêts : seules les personnes physiques sont autorisées à consentir un prêt rémunéré, à d’autres personnes physiques ou morales. La deuxième condition a trait à l’objet du prêt : il doit s’agir de financer un projet professionnel d’un emprunteur personne morale ou physique ou un besoin de formation d’un emprunteur personne physique. La troisième condition tient à la nécessité pour le prêteur et l’emprunteur d’avoir été mis en relation par un IFP. 

Pour les prêts rémunérés, des plafonds seront fixés par voie réglementaire ; l’exposé des motifs du projet de l’ordonnance évoque les montants de 1 000 € par prêteur pour un emprunt total d’un million d’euros maximum. 

Si l’exercice de l’activité de don ne nécessite pas de recourir au statut d’IFP, tel n’est pas le cas des activités de prêt gratuit, ce qui est une nouveauté par rapport à la situation actuelle et la position commune AMF / ACPR publiée en 2013 (3) .

Le statut d’IFP est créé pour permettre aux plateformes de prêts et, lorsqu’elles le souhaitent aux plateformes de dons, de mettre en relation par l’intermédiaire d’un site internet des porteurs de projets et des prêteurs ou des donateurs dans un cadre régulé (4). Seules des personnes morales peuvent être IFP mais, contrairement aux CIP, il n’est pas exigé que ces personnes soient établies en France. Tout comme pour les CIP, l’activité d’IFP est exclusive de toute autre sauf possibilité de cumuler ce statut avec celui de CIP. Les IFP doivent s’inscrire à l’ORIAS et détenir une assurance responsabilité civile professionnelle.

Les IFP pourront proposer à des particuliers de souscrire aux prêts rémunérés ou gratuits pour financer de projets professionnels (des personnes morales ou physiques) ou de besoins de formation (de personnes physiques) , dans la limite des plafonds précisés par décret. Toutefois, selon l’exposé des motifs du projet de l’ordonnance, les IFP pourront mettre en relation des prêteurs et des emprunteurs sans contrainte de plafond, lorsque ces contrats ne constituent pas des crédits à la consommation. Ce dernier point manque de précision à ce stade (l’article L. 311-1 du code de la consommation est très large : son champ d’application dépend de la situation de l’emprunteur qui emprunte « dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle »). C’est d’ailleurs là l’essentiel des enjeux dans les semaines à venir : déterminer dans le décret les caractéristiques des crédits qui peuvent être offerts par les IFP. 

Enfin, dans la mesure où ces plateformes procèdent à des transferts d’argent entre prêteurs et emprunteurs, le projet prévoit qu’elles peuvent procéder à des transferts de fonds, dès lors qu’elles sont agréées par ailleurs comme établissement de paiement, dans les conditions allégées qui seront précisées par voie réglementaire (décret et arrêté). De tels établissements soumis à ce régime allégé ne bénéficieront pas du passeport européen.

Les IFP sont soumis à des règles de bonne conduite spécifiques et des obligations de transparence relatives à la sélection les projets, aux caractéristiques des prêts et à leur rémunération et aux obligations d’information aux prêteurs (et mettront à leur disposition un « outil d’aide à la décision ». Les IFP doivent aussi informer les porteurs de projet des risques liés à un endettement excessif (5). 

Heureuse surprise : les IFP ont par ailleurs accès au fichier bancaire des entreprises (FIBEN) tenu par la Banque de France et ce, afin de vérifier la solidité financière des entreprises qui sollicitent un financement de leur projet. 

Plus généralement, les IFP doivent respecter les règles relatives à LAB / LAT et sont soumis au contrôle de l’ACPR (et donc au paiement d’une redevance).

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Le projet ainsi préparé par le gouvernement (en supposant qu’il ne sera pas modifié avant son adoption par le Conseil des Ministres) est fidèle aux grandes lignes annoncées précédemment. Le secteur du financement participatif ne sera pas exempt de régulation, mais les nouvelles règles seront bien plus légères que celles du régime général. Et en plus les investisseurs en finance participative, par voie de titres ou de prêts (comme par voie de dons), bénéficieront des protections de droit commun en cas d’abus, par exemple les règles concernant le dol, l’escroquerie, l’abus de faiblesse et – en cas de financement d’une société – la responsabilité des dirigeants qui présentent une image tronquée de celle-ci.

Il est prévu que les nouveaux textes rentrent en vigueur le 1er juillet prochain.

(2) Article 60 de la loi du 31 décembre 1971 : « Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d’une qualification reconnue par l’Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l’accessoire nécessaire de cette activité ».
(4) L. 548-1-I du CMF : « L’intermédiation en financement participatif consiste à mettre en relation, au moyen d’un service de communication en ligne, les porteurs d’un projet déterminé et les personnes finançant ce projet par des opérations suivantes (…) » 
(5) Plus précisément, l’article L. 548-6 du CMF prévoit que les IFP doivent : 
1° fournir au public toute information permettant leur identification;
2° Informer le public sur les conditions auxquelles sont sélectionnés les projets et les porteurs de projet; 
3° Publier un rapport annuel d’activité;
4° Fournir aux prêteurs ou donateurs les informations concernant les caractéristiques du projet et, le cas échéant, du prêt concerné s’agissant en particulier du taux d’intérêt applicable, du montant total du crédit, de la durée du prêt et de ses modalités et conditions de remboursement;
5° Mettre en garde les prêteurs sur les risques liés au financement participatif de projet, notamment les risques de défaillance de l’emprunteur, et des porteurs de projets sur les risques d’un endettement excessif;
6° Mettre à disposition des prêteurs les outils permettant d’évaluer le montant du prêt envisageable compte tenu de leurs revenus et charges
7° fournir aux porteurs de projet et aux prêteurs ou donateurs les informations concernant la rémunération de l’intermédiaire en financement participatif;
8° Assurer le suivi des opérations de financement et la gestion des opérations jusqu’à leur terme, y compris dans le cas où l’intermédiaire en financement participatif ne pouffait plus y pourvoir lui-même.
La publicité relative à leur activité, dès lors qu’elle indique un taux d’intérêt ou des informations chiffrées liées à l’opération de financement, les mentionne de façon claire, précise et visible ».
 

Travaux de PME Finance :

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