Hubert de Vauplane
Hubert de Vauplane, avocat à la Cour (Kramer Levin)
Le crédit inter-entreprise libéré : une nouvelle exception au monopole bancaire est née
28.04.15
L’amendement Fromentin qui ouvre le crédit inter entreprise a été définitivement adopté par le Parlement. Dès que la loi Macron sera votée et que le décret de mise en œuvre sera publié, les entreprises pourront utiliser cette nouvelle faculté qui leur est offerte de se faire crédit entre elles sans passer par une banque et sans appartenir à un même groupe. Et pourtant, lors du dépôt par le député maire de Neuilly de son amendement, peu nombreux était ceux qui pensaient au succès de ce projet ; certes, le texte a été modifié au cours des travaux parlementaires afin d’encadrer les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent prêter à d’autres entreprises*, mais l’objectif premier a été sauvegardé : faciliter le crédit inter-entreprises hors du circuit bancaire traditionnel et surtout hors du cadre des crédit intra groupes ou dans le cadre des délais ou avances de paiement.
Selon les propos mêmes du promoteur de cette disposition, « Cet amendement propose donc une chose très simple, qui se pratique dans d'autres pays : laissons à deux entreprises, qui sont en relation commerciale, la possibilité de s'octroyer des facilités de trésorerie dans un acte sous seing privé, donc de gré à gré. Ainsi, une entreprise donneuse d'ordres travaillant avec un sous-traitant qui connaît des difficultés ne peut pas aller au-delà du crédit fournisseur qu'elle peut lui accorder en facilitant les délais de paiement. Mais elle pourrait aller un peu plus loin en lui accordant une ligne de trésorerie sur deux ans maximum, dans le cadre d'un contrat, de manière à surmonter ce passage difficile. L'entreprise donneuse d'ordres le ferait d'autant plus qu'elle connaît le sous-traitant : étant son acheteur, elle est la mieux placée pour juger la qualité des produits de ce sous-traitant, l'aider à maintenir l'équilibre et à assurer sa pérennité. « Il ne s'agit donc pas de bouleverser le monopole bancaire [...] mais d'étendre une exception qui existe déjà puisqu'à l'intérieur d'un groupe, ce crédit entre filiales ou entre entreprises est possible ; mais souvent, une relation commerciale de confiance est au moins aussi forte qu'à l'intérieur d'un groupe ».
Voilà donc une nouvelle facilité de financement aux entreprises. Comment fonctionne-t-elle? La loi encadre cette faculté de façon à ne pas en dévoyer l’objectif.
- La première condition tient à la nature même des relations entre prêteur et emprunteur. Il doit exister des « liens économiques » entre prêteurs et emprunteurs. Si cette notion n’est pas définie par la loi (et tant heureusement en ce qu’elle permet une souplesse d’interprétation), on en comprend la logique. La raison de cette limitation est claire : seules des entreprises en relations d’affaires disposent d’une appréciation pertinente du risque de solvabilité entre elles. Tel est bien sûr le cas entre grands donneurs d’ordres et sous-traitants, situation clairement visée par le législateur.
- La seconde condition à trait à la qualité d’emprunteur : micro entreprises, PME, ETI**. Sont donc exclues les grandes entreprises.
- La troisième condition est relative à la qualité de prêteur. Si toutes les sociétés par action et les SARL sont susceptibles de prêter, sous réserve d’obtenir une certification de leur commissaire aux comptes, encore faut-il que ces sociétés soient en situation de trésorerie excédentaire, ce que ne dit pas expressément la loi mais ce qui sera précisé par décret. Les parlementaires se sont d’abord interrogés sur la nécessité de fixer des plafonds maximum tant à l'emprunteur qu'au prêteur, mais cette limitation a finalement été écartée. Outre la difficulté de trouver le bon calibrage, cette disposition risquait de limiter excessivement les acteurs qui voudraient s'engager dans un système de prêt interentreprises. Par ailleurs, conscient du risque que cette situation peut faire naitre, l’entreprise prêteuse ne pourra pas utiliser ces prêts pour mettre l’emprunteur dans une situation de dépendance économique en lui imposant des délais de paiement.
- La quatrième condition concerne le prêt lui-même : seules les opérations de financement court terme, n’excédant pas deux ans, sont possibles, ce qui est curieux. Ces crédits devront être formalisés dans un contrat de prêt, et le cas échéant ceux-ci devront répondre au formalisme des conventions réglementées.
Mis à part ces quatre conditions, il n’y a rien d’autre qui pèse sur les entreprises prêteuses ou emprunteuses.
Notons toutefois l’impossibilité de transférer ces prêts à des organismes de titrisation. L’idée est ici de ne pas dévoyer l’objectif de cet amendement. En laissant la possibilité de titriser les crédits, on risquait de voir certaines sociétés tirer profit des situations de marchés en empruntant à des taux bas pour prêter à des entreprises à des niveaux plus élevés, le tout en procédant à des transferts de risque de crédit par cession de créances dans le cadre d’opérations de titrisation afin de ne pas alourdir leur bilan. Tel n’est pas l’objectif du législateur : l’idée est que l’entreprise prêteuse garde son crédit dans son bilan jusqu’à son échéance. Bien sûr, rien ne lui interdit de céder sa créance de prêt, mais pas dans le cadre d’une opération de titrisation. Ce qui devrait largement diminuer le risque d’une « financiarisation » du crédit inter-entreprises. La sanction du non-respect de cette interdiction est lourde : la nullité des opérations.
Lors des débats parlementaires, une autre disposition facilitant le crédit inter-entreprises a été cependant supprimée, celle qui permettait aux entreprises de « pratiquer des opérations de crédit [...] avec d'autres entreprises partenaires, y compris lorsqu'il n'y a pas de liens de capital entre ces entreprises ». Il faut croire que le gouvernement a dû considérer que cette disposition faisait double emploi avec l’amendement Fromentin modifié.
Enfin, n’oublions pas que le régime du bon de caisse va lui aussi être modifié afin de permettre sa plus grande utilisation par les entreprises.
C’est donc une ère nouvelle du crédit interentreprises qui s’ouvre en France, rapprochant notre pays de ce qui se passe chez ses voisins les plus proches.
* Cf. notre présentation de l’amendement lors du débat à l’Assemblée nationale
** ces catégories est définie par le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique.