Antoine Colboc
Comment expliquer que l’épargne française soit si peu productive ?
Pour se développer, investir et faire face à la concurrence, nos entreprises ont besoin de pouvoir se financer en fonds propres, donc d’une chaine de financement sans faille et de marchés boursiers actifs.
Les dirigeants de PME, qui sont la principale source de création d’emplois en France, se plaignent de la difficulté de trouver des investisseurs en fonds propres et des marchés boursiers difficilement accessibles et peu liquides. Il en est de même des équipes de gestion qui animent des fonds d’investissement et qui ont de plus en plus de mal à lever des capitaux.
Or …
La France est l’un des pays au monde qui épargne le plus.
La France collecte 120 milliards € par an d’assurance vie et l’encours global d’assurance vie dépasse 1200 milliards €. Les grandes entreprises françaises ont une trésorerie très abondante (150Mds de trésorerie pour les entreprises du CAC 40) et il existe en France des banques et des assurances de premier plan qui devraient pouvoir financer les 3 ou 4 milliards € dont les PME ont besoin annuellement en fonds propres.
Quelles sont les raisons de cette situation paradoxale : d’un côté un manque de capitaux et de l’autre des trésoreries abondantes ?
Une imposition inéquitable L’une des incohérences majeures des dispositifs fiscaux actuels est de manière générale le manque de proportionnalité entre le degré de risque et le taux d’imposition. Ainsi des placements monétaires à faible risque dans les assurances vie, les comptes livrets, l’épargne salariale (PEE), etc. sont beaucoup moins taxés qu’un investissement risqué au capital d’une entreprise ! Une épargne en grande partie stérile .
L’épargne des Français a ainsi été drainée principalement vers des outils à faible risque (livret A, PEL, partie monétaire et obligataire des Assurances vie, des PEE…). Plus de 80% des 1200 milliards € d’assurance vie sont investis à faible risque. Cette épargne est peu productive.
Une aversion naturelle au risque … encouragée .
Les particuliers ont été habitués à des placements monétaires faiblement imposés et ont constaté le risque des placements action (crise Internet, crise financière). Il s’est donc développé une aversion générale au risque « actions » et la bourse attire un nombre trop limité d’épargnants.
Les grandes entreprises investissent peu en France. Les grandes entreprises investissent peu en France et beaucoup se concentrent sur les marchés émergents, zones de forte croissance.
Des ressources longues ne finançant plus les investissements peu liquides Sous la pression des normes Bales III et Solvency II visant à renforcer la régulation financière et à nous prémunir d’une nouvelle crise financière, les établissements bancaires et d’assurance réduisent, voire se retirent complètement du financement en capital des PME.
Ces normes ont donc un effet pervers car les ressources financières long terme ne vont plus financer les emplois long terme non liquides. L’impôt joue aujourd’hui un rôle contre-productif et doit jouer à l’avenir un rôle de régulation, d’équité, d’incitation Orienter l’épargne « stérile » vers l’épargne « fertile » .
Afin d’orienter l’épargne « stérile » vers de l’épargne « fertile » (investie en fonds propres de PME), il paraît nécessaire de rééquilibrer la fiscalité en : augmentant la fiscalité des placements à faible risque « stériles », notamment ceux aujourd’hui paradoxalement privilégiés (ex : la partie sans risque des assurances vie et des PEE) réduisant la fiscalité des placements à risque Nécessite de veiller à la proportionnalité de l’impôt .
Une politique fiscale incitatrice peut progressivement changer les comportements, à l’image de la loi TEPA, de la loi Dutreil ou du statut des auto-entrepreneurs. La difficulté est de bien graduer la nature l’impôt en fonction du niveau de risque, de la durée d’investissement, du type d’acteur économique.
Conclusion
La réflexion en cours sur notre législation fiscale est la bonne occasion pour éliminer les effets contre productifs existants depuis de nombreuses années et pour engager une politique fiscale emprunte d’équité et faisant appel au sens civique des acteurs économiques.
Si des mécanismes incitatifs au niveau de tous les acteurs (particuliers, entreprises et institutions financières) conduisent à mieux équilibrer l’imposition en fonction du risque et ainsi à orienter l’épargne vers le renforcement des fonds propres des entreprises et, en particulier des PME, créatrices d’emplois et de valeurs, nous créeront alors un cercle vertueux car les entreprises généreront de l’activité, des bénéfices, créeront des emplois, aboutissant ainsi à une réduction du déficit fiscal et s’attaquant aux véritables causes du déficit de l’Etat de manière permanente et structurelle.
Nous aurons alors créée une véritable épargne fertile.